Le logement fait le cycle économique aux États-Unis
Par Christopher Dembik, Head of Macro Analysis chez Saxo Bank
Nous pensons que le marché du logement fait le cycle économique aux États-Unis ou, du moins, qu’il joue un rôle majeur dans le cycle actuel. Les données récentes confirment que le marché résidentiel va subir un sérieux coup de frein dans les mois à venir. Il est trop tôt pour dire si l’atterrissage se fera en douceur ou s’il sera brutal. Bien entendu, plus le ralentissement est brutal, plus la probabilité d’une récession ou d’une « récessionnette » cette année ou en 2023 est élevée. Pour l’instant, chez Saxo Bank, une récession ne constitue pas le scénario de référence pour les États-Unis.
Au cours des dernières décennies, le marché du logement a systématiquement joué un rôle clé dans le cycle économique américain. C’est également le cas dans le cycle actuel. Les économistes, mais aussi les investisseurs, n’ont certainement pas prêté assez d’attention au marché du logement ces deux dernières années, notamment au début de la pandémie, lorsque les mesures de relance massives avaient alimenté la demande et fait gonfler les bulles de prix dans les États-Unis tout entiers (au niveau national, les prix des logements ont augmenté de près de 40 % en moyenne depuis le début de la pandémie).
Le marché du logement se trouve aujourd’hui dans une position vulnérable. Avec une inflation élevée dans tous les domaines, qui pèse sur la confiance des consommateurs, et des taux hypothécaires qui dépassent les 6 % suite au cycle de resserrement de la Réserve fédérale américaine, les risques d’atterrissage brutal ont augmenté. Au cours des dernières semaines, plusieurs grandes sociétés immobilières comme Redfin Corporation ou des constructeurs de maisons comme Lennar (le deuxième acteur le plus important aux États-Unis) ont mis en garde contre le risque de ralentissement. Certains d’entre eux ont déjà baissé leurs prix et lancé des incitants dans certaines zones pour soutenir la demande. Mais il est trop tôt pour savoir s’ils vont y parvenir.
Pour l’instant, toutes les données confirment un ralentissement important. Le marché est très déséquilibré. En mai, les ventes de logements existants ont diminué de 3,4 % pour atteindre 5,4 millions d’unités. Il s’agit d’un nouveau plus bas postpandémique. Elles sont en baisse de 17 % depuis janvier. Les baisses les plus importantes et les plus inquiétantes se situent dans le Midwest, l’Ouest et le Sud. Dans le même temps, les prix médians continuent de grimper (+15 %, à 408 000 USD – un nouveau record absolu). Les stocks sont très bas, à 2,6 mois seulement. Les permis de construire et les mises en chantier étaient également en baisse en mai. Les mises en chantier ont chuté de 14,4 %. Il s’agit de la troisième baisse mensuelle en cinq mois. Les permis de construire ont chuté de 7 % le même mois.
Le marché est dans une situation unique. La dernière fois que l’accessibilité au logement a été aussi faible, c’était en 2007 – voir graphique ci-dessous. On peut s’attendre à ce que la situation s’aggrave à court et moyen termes. La flambée des taux hypothécaires, qui ne fait que commencer, est une contrainte majeure pour les acheteurs de logements neufs. Si l’on ajoute à cela le « verrouillage des taux » à des niveaux très bas (ce qui signifie que le taux d’intérêt ne changera pas entre l’offre et la conclusion du contrat), on peut s’attendre à une moindre mobilité résidentielle. Cela aura des effets en chaîne sur l’ensemble de l’économie, à commencer par l’activité de construction de logements, avec des décalages variables en fonction des arriérés.
Les données à venir sur le marché du logement nous aideront à évaluer s’il existe ou non un risque majeur de récession. La dernière enquête menée auprès des prévisionnistes professionnels indique une probabilité de récession de 20 %. Lorsque nous atteignons ces niveaux, l’économie est généralement déjà en récession.
En général, les économistes peinent à prévoir les récessions avec précision. Il n’y a que deux exceptions : au début des années 1980, lorsque le président de la Fed, Paul Volcker, a augmenté les taux d’intérêt pour tuer l’inflation (mais c’était tellement évident que même les économistes l’ont vu venir) et en 1995, lorsque la récession s’est terminée en douceur.
Actuellement, nous ne prévoyons pas de récession dans l’immédiat aux États-Unis. La probabilité qu’elle se produise cette année ou l’an prochain dépendra fortement de l’évolution du marché du logement. Mais il ne fait aucun doute que nous allons connaître une croissance beaucoup plus faible, notamment en 2023, que ce mouvement s’accompagne d’une récession technique ou d’aucune récession du tout. Le ralentissement matériel de la croissance est visible dans toutes les données.
