La courbe des taux inversée émet un faux signal
Par Christopher Dembik, Head of Macro Analysis chez Saxo Bank
Une courbe des taux américains inversée est censée annoncer une récession aux États-Unis. Or, cette courbe nous paraît aujourd’hui émettre un faux signal.
L’inversion de la courbe des taux se produit lorsque les rendements américains des obligations à court terme dépassent ceux des obligations à dix ans. C’est généralement le signal que les investisseurs s’attendent à une détérioration des conditions économiques à court terme et à une intervention agressive de la Réserve fédérale (Fed). Par conséquent, ils veulent être mieux rémunérés pour l’argent qu’ils prêtent sur deux ans que sur dix ans, par exemple.
Il existe au moins deux courbes de rendement habituellement observées : l’écart entre les taux à deux et à dix ans (l’indicateur le plus couramment utilisé) et celui entre les taux à un et à dix ans (le plus souvent mentionné par les documents de recherche de la Fed). En quoi cela est-il important aujourd’hui ? Cette année, les rendements des obligations d’État à court terme (entre trois mois et cinq ans) ont davantage augmenté que ceux des obligations à long terme, ce qui a gonflé la courbe.
Si celle-ci n’est pas encore inversée, elle suit une forte tendance à la baisse. L’écart entre les taux à deux ans et à dix ans se situe maintenant à +45 points de base. Il affichait +89 points de base au début du mois de janvier. L’aplatissement de la courbe reflète en partie les attentes du marché selon lesquelles la Fed relèvera les taux d’intérêt à plusieurs reprises au cours des prochains mois afin de contenir l’inflation. Certains investisseurs y voient un signal baissier indiquant que le risque de récession augmente aux États-Unis.
L’inversion de la courbe des taux a fait ses preuves en matière de prévision de récession. Depuis les années 1970, toutes les récessions américaines, sauf une, ont été précédées d’une telle inversion. Seule la récession de 1990 fait exception. Quant à l’inversion de 2019, elle n’a rien prédit du tout.
Mais cette fois, la situation est différente. Il nous semble que la courbe envoie un faux signal. L’assouplissement quantitatif massif a comprimé la prime de terme et l’extrémité longue de la courbe est fortement déformée. On observe également des distorsions causées par une préférence pour les actifs sûrs dans le marché actuel, en raison du risque géopolitique plus élevé. Cette préférence entraîne notamment une demande plus forte pour les obligations du Trésor à dix ans (prime de risque négative). L’influence de ces deux facteurs ne peut être ignorée.
Nous ne disons pas que les investisseurs doivent rejeter les signaux envoyés par la courbe. Mais ces signaux doivent être interprétés avec prudence. Le niveau zéro n’a rien de magique. Il pourrait être atteint dans les mois ou les trimestres à venir, mais il n’annoncera pas nécessairement une récession imminente. Seule une forte inversion de la courbe des taux est susceptible de constituer un signal inquiétant. On n’en est pas encore là.
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